Saudade Lisboeta
25 avril 1974, la Révolution des Œillets. Cette date changea profondément la vie du peuple Portugais.
Mes parents vécurent ça de loin. Quelques années auparavant, ils avaient dû quitter leur terre natale comme de nombreux autres pour fuir la dictature et subvenir aux besoins de leur famille et s’étaient installés en France.
En effet, dans les années 60, durant la période autoritaire « Estado Novo » mise en place par Salazar, le régime voulait asseoir son autorité sur les colonies et mater les révoltes indépendantistes. A cette fin, il imposait à la jeunesse Portugaise une guerre de « pacification ». Mon père comme ses frères durent servir 3 ans en Angola.
A son retour, profondément marqué par ce qu’il avait vécu et constatant la misère dans laquelle son pays se trouvait, il s’engagea dans un mouvement contestataire. Au bout de quelque temps, voyant que bon nombre de personnes engagées comme lui finissaient entre les mains de la PIDE, la police de Salazar, il dut se résoudre à quitter le mouvement. Devant la crise importante que vivait le pays et l’absence de libertés, mes parents n’eurent d’autre choix que de partir.
Cette fuite fut un déchirement, et depuis, le sentiment d’être apatride ne les quitte plus. Ils ne sont plus considérés comme de « vrais » Portugais aux yeux de ceux qui ne sont jamais partis.
En avril 1974, ils apprirent que le Peuple Portugais marchait sur Lisbonne. Deux sentiments se mélangèrent alors : une profonde joie que le régime en place puisse être renversé et une profonde tristesse de ne pouvoir accompagner les autres en chantant « Grândola Villa Morena », chant contestataire qui annonçait la fin du régime.
Ce sentiment ambivalent ne les a jamais quittés.
A travers ce travail photographique, j’essaie de rendre hommage à mes parents déracinés, tristes de n’avoir pu arpenter les rues de Lisbonne en ce jour du 25 avril 1974 mais néanmoins heureux d’avoir offert la liberté à leurs enfants au moment où leur pays en était privé...
(Tirage : bromoil / gomme bichromatée)